De nombreux intellectuels s'émeuvent, et avec raison, de la disparition du point-virgule, cette étrange ponctuation qui rythme les phrases sans les saucissonner. De rares sites osaient évoquer cette inquiétante situation, mais les principaux medias observaient là-dessus un silence d'omerta.

Une femme courageuse, le Professeur Guillemette de Suspension, a donc mené l'enquête, et ses conclusions sont accablantes. Tout a commencé avec ces nouveautechnologicommunicationnelles. Les masses munies de claviers ont pris la détestable habitude de rédiger des messages, tantôt sur leur téléphone, tantôt sur leur ordinateur, quand ce n'étaient pas les deux à la fois, et le souci de l'efficacité – comment exprimer les méandres de mes sentiments embrumés en moins de 60 caractères – a engendré, comment dire ? une certaine désinvolture quant aux usages graphiques, typo- comme ortho-, jusqu'alors en vigueur. Rien de nouveau jusqu'ici, me direz-vous.

Je précise tout de suite que mon propos n'est PAS de rejeter sur ce phénomène la déplorable orthographe de nos jeunes élèves ; je serais bien en peine d'ailleurs de mesurer la réalité de cette influence supposée. Non, il ne s'agit pas de cela, mais bien de contribuer à mettre en lumière les agissements scandaleux d'une poignée de sales caractères.

L'on sait désormais grâce au Professeur Guillemette de Suspension, que la disparition du point-virgule est intimement liée à l'usage anarchique, voire carrément incohérent, des majuscules.

En effet, certains individus, peu soucieux de la netiquette et souvent encore moins conscients des effets désastreux de leur prose hurlante, en usent et abusent à longueur de phrase : le lecteur interpelé, devant tant de virulence, au mieux hausse les épaules, au pire change de page... et ne reçoit donc pas le message.

Mais ce n'est pas le plus grave, car cette dérive tonitruante, pour dérangeante qu'elle soit, n'aurait pas suffi à mettre en péril notre cher point-virgule. D'autres individus, parfois – qui sait ? - les mêmes, omettent ces mêmes majuscules à l'initiale des phrases, en dépit des leçons répétées de leur instituteur de cycle 2 ! Plus grave encore, nous les supprimons à l'initiale de nos pseudos ! Comme disait mon voisin, un vieil homme ennemi de la saleté, qui nettoie soir et matin son bout de trottoir au jet d'eau, « Il n'y a plus de noms propres ! »

C'est pourquoi les majuscules, justement alarmées de cette tendance, que dis-je de cette tendance, de cet état de fait, ont décidé de réagir ; elles ont étudié le terrain, estimé leurs forces, jaugé les adversaires, soupesé les obstacles ; et finalement, peu puissantes mais déterminées, elles ont fait la chasse au seul élément qu'elles étaient de taille à combattre : le point-virgule. Partout elles appuient la phrase courte, multipliant ainsi les occasions de se manifester. Partout elles pourchassent le point-virgule, ce faux point qui n'en est pas un, et qui leur vole, chaque fois qu'il ponctue, un de leurs instants de gloire.

La Grande Guilde Des Majuscules a donc pris d'assaut la presse écrite, comptant ainsi regagner les points perdus dans les échanges électroniques. Il fallait à la fois apparaître, apparaître, apparaître, et que la stratégie ne soit point trop apparente. Difficile équilibre, mais qui eût été maintenu, sans les persévérantes recherches du Professeur Guillemette de Suspension, qui a courageusement brisé le silence des grands quotidiens muselés...

Si à mon tour je m'en fais l'écho, c'est d'une part parce que le tabou commence d'être levé, et la lumière jetée sur ce que l'on appelle déjà, dans la presse à sensation, un « complot majuscule », mais aussi et surtout pour la défense de cette si précieuse et si subtile ponctuation qu'est le merveilleux point-virgule : « ; ».

Ceci est ma participation au sablier de printemps organisé par Kozlika, amorce 1 choisie par Elisabeth et provenant de chez Tarvalanion.