Cela faisait si longtemps que je n'avais pas été ainsi cernée...

Elles sont là, toutes autour de moi, en tas, en piles, en paquets, sans ordre et surtout, surtout, sans le sésame chiffré qui me permettrait de les chasser de la caverne où je me suis moi-même enfouie.

Il y a fort longtemps, je me suis fait une promesse, et je ne l'ai jamais tenue.

Je me suis promis de m'y attaquer sans attendre. C'est la meilleure défense. Sans attendre qu'elles pénétrent mon intérieur, envahissent ma chambre, montent la garde autour du lit et m'interdisent l'accès de la bibliothèque. Elles m'étouffent. Leurs ailes blanches s'obscurcissent de mille signes cabalistiques qu'il me faut déchiffrer, un à un, et à chaque pas lutter contre le doute et peser ma réponse. Travail de Titan. Une à une, les laisser se déployer, les scruter, percer le mystère des errances dont elles portent les traces, résoudre l'énigme et trouver la formule, subtile alliance de lettres et de chiffres, qui me délivrera de chacune de ces Sphynges.

Elles attaquent par escadrons, en masses serrées, à intervalles régliers. Mon expérience de la lutte m'a permis jusqu'ici de repousser leurs assauts en temps et heure, avant qu'elles ne m'assiègent. Si le combat s'enlise, c'est le début de la guerre d'usure. Après, lorsqu'elles en viennent à m'encercler, seules l'endurance, la patience, et la force de l'âme permettent d'en venir à bout.

J'ai failli à ma promesse et me voilà coincée, accablée. Comme au vieux temps de ma faiblesse. J'ai pourtant appris à me battre ! Sous le nombre, je ne sais plus que me débattre. Je les ai vues arriver, les unes après les autres, j'ai soupesé leur poids, jaugé leur résistance, décompté leurs troupes. Vingt-quatre ici, trente-cinq là-bas. Trente-quatre de mieux ce matin. L'ennemi se concentre et envoie ses renforts, et mes efforts pour éclaircir ses rangs sont dérisoires au regard de ce qui m'attend.

Y retourner, pourtant. Ne pas déserter le champ de bataille. Infliger à chacune la correction qu'elle mérite, froidement, sans passion. L'une après l'autre, leur régler leur compte, les réduire au silence, et bataillon après bataillon, les bannir, les expulser, les renvoyer là d'où elles viennent. Chaque colonne éliminée m'est une victoire. Et j'en note méticuleusement, pour mémoire, les détails et les hauts faits.

Ces batailles, je les remporte toutes. Elles n'ont que l'avantage du nombre. Moi je détiens une arme, celle qui marque leur corps frêle de cicatrices rouges.

Mais cette fois, je suis cernée. Elles m'ont eue.