La pièce était calme, trop calme, pour engager une conversation ou développer une pensée.
Charles B. m'avait piégée. Impossible d'avoir une explication dans un lieu pareil. Le moindre étirement de Balthazar sur le fauteuil faisait crisser le cuir et amenait des sourires de plénitude sur le visage de Séraphine. Elle dormait dans sa dentelle, blonde enfant, petit nez retroussé, joues rebondies encore et poings serrés. Balthazar la veillait, de loin. Les variations de sa respiration lui dressaient les oreilles, puis, si rien ne venait, il reprenait sa place blotti tout près de l'accoudoir, et s'étendait de tout son long, satisfait.
Séraphine dormait. Balthazar somnolait, nous surveillant du coin de sa paupière à peine ouverte.
Charles B. souriait de manière agaçante. Il savait bien que je respectais trop la paix des êtres pour le harceler là. Je l'avais naïvement suivi, un peu surprise qu'il accède enfin à mes demandes d'éclaircissements. J'étais piégée. Et je fulminais silencieusement, en dépit de mon souhait de n'en rien laisser voir.
Le calme du matin fut troublé par le pépiement soudain d'un oiseau, perché dans le noyer ombrageant la fenêtre. Aussitôt Balthazar bondit, Séraphine gémit, ouvrit puis referma ses petits poings potelés. Je saisis l'occasion, inspirai... et Charles B. m'interrompit, d'un geste : Séraphine dormait toujours, et Balthazar, jugeant l'importun volatile hors de portée, avait repris sa place, ronronnant de plus belle et lissant soigneusement son poil ébouriffé par l'alerte.
J'étais définitivement réduite au silence. Vaincue, je rendis les armes, et tournai les talons. Charles B. posa alors la main sur mon épaule. L'épaule gauche. Balthazar tressaillit et Séraphine émit un drôle de petit bruit. Je retins mon souffle.

Charles B. me tendait, toujours avec ce sourire narquois – quoiqu'un peu plus tendre me sembla-t-il – l'objet du différend : le livre, patiemment annoté par mes soins, sur les pages duquel le taquin Balthazar avait apposé sa griffe, et Séraphine l'enfantine salive de ses vagissements.

- Ils ont beaucoup aimé, tu sais... Pourquoi n'auraient-ils pas le droit de lire la poésie, eux aussi ?