Hier la rentrée au lycée a été assombrie par la nouvelle d'un accident survenu à l'un de nos élèves. La fin de la journée a confirmé son décès. Seize ans. Je ne l'ai plus cette année, mais j'ai corrigé sa copie de bac blanc ces vacances. Et je me souviens avoir retrouvé avec plaisir cette petite écriture fine et droite. De copie en copie, certaines écritures me marquent et finissent par se relier instantanément à leurs auteurs. La sienne, c'était aussitôt le souvenir d'un garçon fin, drôle, intelligent et malicieux. Les yeux qui pétillent. Ceux qui m'aiment savent combien je suis sensible à ces yeux qui pétillent.

J'ai appris cela juste avant mon premier cours hier. La sonnerie avait déjà retenti, j'entendais mes collègues parler d'un accident grave mais je ne savais pas de qui il s'agissait. Soudain, c'est son prénom que j'ai entendu. Et Doudounet de raconter le cours difficile qu'il venait d'avoir avec la classe confrontée à cette absence bientôt définitive.

Il a fallu avaler, remettre ses jambes en état de marche et s'armer de tout son coeur pour rejoindre la classe qui attendait. Ma classe la plus pénible. Quelques pas, prendre les clefs, traverser... en arriver à me dire qu'en tant qu'adulte il faut que je sois solide, si jamais mes élèves ont eu vent de la nouvelle, si jamais cela sort. Le cours s'est déroulé sans anicroche. Rentrée, effet des actions entreprises avant les vacances pour ramener cette classe à de meilleures dispositions, ou gravité due à ce décès ? Je ne saurai pas.

Ce que je sais, c'est qu'on s'attache, à ces êtres qui passent - et nous restons dans nos classes. Je pense à une fille de cette classe que j'ai tant appréciée l'année dernière. Elle venait régulièrement me confier ses soucis, je tentais de lui apporter l'assurance dont j'étais capable. Elle n'est pas pour rien dans ma remontée de la pente. Je sais qu'elle appréciait nos discussions, mais je ne sais pas si cela l'a aidée. Ce qui est sûr, c'est que la confiance qu'elle m'a témoignée m'a aidée, moi, à me positionner, à trouver ma place d'adulte face à des adolescents parfois désarmés. Elle est toujours au lycée, je la croise parfois, mais nous ne bavardons plus. Je pense souvent à elle.

Quant à ce jeune garçon, il faisait partie d'un trio, cette année éclaté du fait des orientations, que j'avais surnommé les trois pitres. Trois garçons très différents mais apparemment amis de longue date, et partageant l'intelligence et la malice. Parfois leurs pitreries me tapaient sur les nerfs, parfois on a pu les trouver (au moins l'un d'eux) un peu trop imbus de leur personne... mais le plus souvent ils me faisaient rire, parce qu'ils visaient juste.

En avril nous étions partis avec cette classe. Je me souviens de sa remarque spontanée au musée Dali : C'est un obsédé, ce Dali ! (tempéré ensuite en y a beaucoup de nus, quand même... il avait dû entretemps s'apercevoir de ma présence...)

Il devait repartir cette année, dans dix jours, avec nous, en Italie. Il va m'y manquer. D'une certaine manière, cela me réconforte d'évoquer mes souvenirs de lui. De toutes façons nos élèves grandissent et on les perd de vue pour la plupart (et certains ne nous manquent guère...). Mais là, la perte est un peu trop brutale. Et je n'ose pas penser à la douleur de ses parents, à sa famille. Il est parti trop loin, trop tôt.