Parmi tout cet équipage se trouvait un jeune mousse nommé Sandro. Par quel hasard, au terme de quelles péripéties un être si fin s'était-il retrouvé entouré de tant de bassesse, il ne consentit jamais à l'expliquer. Il était là, tremblant comme les autres sous les ordres de Néo, et comme les autres, il gardait pour lui ses commentaires. La différence était dans sa lucidité, et dans sa sensibilité. Il souffrait non seulement de ce qu'il subissait mais aussi de ce à quoi il assistait. Ses sentiments pour ses compagnons oscillaient entre mépris et pitié. Néo le terrorisait et le fascinait tout à la fois. Il rêvait de fuir cette misérable existence de sous-pirate mais ne pouvait se résoudre à risquer ni sa vie ni sa pauvre place.

Lorsque le capitaine exhiba ses trois captifs, comme les autres il respecta la consigne. Ne pas s'attirer les ennuis. Mais son bon coeur s'intéressait à eux malgré lui, et il ne pouvait s'empêcher, à défaut de s'y mêler, d'écouter leurs conversations, lorsqu'ils étaient à portée, d'observer leur attitude face à Néo, les regards qu'ils échangeaient, si bien qu'il eut bientôt le sentiment de les connaître. Et en même temps, l'espoir qu'il plaçait en eux devint peu à peu une certitude. Il avait confiance en ces trois nouveaux venus, et rêvait d'en faire ses amis. Après, avec eux, tout serait possible.

Tom Tom semblait le plus ouvert, le plus abordable, mais il était difficile de le trouver seul. Quand il n'était pas avec les deux princesses, c'est que Néo l'avait pris sous son aile pour lui enseigner les rudiments de la navigation. Sandro s'arrangeait pour avoir à faire autour, et n'en perdait pas une miette. Néo n'était pas dupe, Sandro le savait.

Un mot sur ces leçons, cher lecteur, car il s'en est passé des choses, en ton absence. Les trois jeunes gens avaient établi un plan d'action, aussitot transformé par Agamoi en "plan d'inaction". Il s'agissait d'être prêts à profiter de la moindre occasion pour échapper aux griffes soyeuses mais avides de Néo. Ils avaient entre autres résolu d'observer attentivement le fonctionnement du navire, les manoeuvres et les gestes des marins, pour apprendre, au cas où. Le soir de la mise en pratique de cette belle idée, ils s'étaient montrés tellement discrets que Néo, après avoir promené sur chacun d'eux un sourire goguenard, avait déclaré : "Tom Tom, Altesse, il faut absolument que je vous enseigne la navigation. Supposons que je disparaisse au cours de notre périple - ce que ni vous ni moi ne souhaitons, bien entendu - ce serait vous le maître à bord : l'on ne saurait confier la conduite de ce vaisseau à des filles, fussent-elles princesses, fussent-elles charmantes comme votre soeur et votre amie..." Un tel discours visait bien sûr à agacer les jeunes filles, et de fait, Nou Na bouillait intérieurement. Agamoi se désolait surtout d'avoir été percée à jour, et Tom Tom se représentait avec terreur le jour où prendrait fin le régime de faveur que leur réservait le capitaine, si les brutes composant l'équipage n'étaient plus soumises à ses caprices...