La tradition familiale veut que tu sois ma première peluche. Tout petit chien, quand je suis née je devais être grosse deux fois comme toi….. je ne retiens jamais quelle parente t’a amené ce jour-là, quelqu’un qui aujourd’hui existe à peine pour moi, quelqu’un qui n’existe plus que par ce geste, et par ta présence encore aujourd’hui, plusieurs années après.

Tu as rythmé ma petite enfance de tes disparitions – momentanées, certes, mais toujours angoissantes pour une toute petite fille. Mes parents demandaient : « où il est ? où il est ? » Est-ce que je savais, moi, où tu étais ? Je les soupçonne même parfois de t’avoir eux-mêmes dissimulé pour me faire chercher ! A charge, une photo, très nette, où l’on te voit, ô mon pauvre ami ! suspendu par les oreilles avec des pinces à linge !!! quelle humiliation pour toi, et pour moi, toute petite dans ma robe d’été, qui étais bien loin d’atteindre au fil… En tout cas je te cherchais, c’est certain, à tel point que cette quête t’a donné ton nom !

Mon petit Ouilet, tout petit aujourd’hui, tu m’as suivie quand je me suis mise à m’installer ailleurs, et tu as retrouvé ta place auprès de mes chagrins. Ta douceur élimée, la perle de ton œil plusieurs fois recousue, et dont finalement seule reste une moitié, tes oreilles toujours aussi longues et pitoyables, ton petit nez minuscule, tout en toi vient se nicher dans mes faiblesses et éponger des larmes qui ne sont plus d’enfant mais qui coulent quand même.

Comme autrefois je m’endors avec toi et la nuit te perd dans le grand lit. Quand le matin revient je n’y pense qu’à peine. Il faut se lever, se réveiller, se préparer, les affronter. Ce que je perds toutes les nuits quand le sommeil me prend et m’insuffle de sales rêves remplis de mots et de dégoûts mais sans couleurs, c’est le simple univers de l’enfant que j’étais, c’est le temps qui a trois fois triplé mon âge, ce sont ces premiers jours dont tu es le gardien.

Trace de mon usure, témoin de mes fêlures, vestige d’un passé qui a cessé de me hanter… mais qu’elles sont dures à larguer, les amarres du temps ! Tu en es la dernière, dernier rempart pour contenir son cours et l’empêcher de fuir. Si je savais où il est, le berceau où je t’ai rencontré, je voudrais m’y pelotonner, m’y blottir, quelques instants parfois, redevenir bébé, seule avec mon Ouilet.