Curieusement, on ne les avait pas dépossédés de leurs affaires, mais Néo n'avat pas non plus caché sa convoitise. Tous les jours, lors des repas pantagrueliques qu'il se faisait servir, il les questionnait, sur le ton de la conversation, sur les ressources de leurs royaumes, la prospérité des pays qu'ils avaient traversés, sur leurs rapports avec les enchanteurs en général, et Jo El Supremo en particulier...

La plus démunie, dans ces interrogatoires, c'était la Princesse Agamoi. Primo, elle n'avait jamais rencontré de magiciens ; secundo, elle n'avait traversé aucun pays avant ce fameux vingt-deux juin. Sur ces deux sujets elle était donc muette. Tertio, l'existence du Miroir, contrairement aux précieux trésors confiés à ses compagnons par le grand magicien, n'étaient un mystère pour personne ; quarto, son mystère à elle ayant été révélé par ce fourbe de Ki, elle craignait qu'il ne l'ait aussi dévoilé au Capitaine Néo.

Or avait bien précisé que ces mystères étaient très personnels. Seuls les lutins chargés de les énoncer en avaient connaissance, et ils ne possédaient pas suffisamment de pouvoirs pour abuser de ce savoir. Ainsi la sûreté des Princes et Princesses était préservée. Mais ce système reposait naturellement sur l'intégrité des lutins, et Ki Le Spécieux, en leur tendant pareil traquenard, avait montré la sienne !

Les trois jeunes gens ressassaient régulièrement toutes ces pensées, lorsqu'ils se réfugiaient dans la cale qui leur tenait lieu de cabine. Ils avaient obtenu l'autorisation de l'aménager à leur goût, et leur fier capitane avait même tenu à leur ouvrir ses coffres, où ils avaient pu choisir de somptueuses étoffes. Les matelots dormaient dans des hamacs de toile rêche, et mangeaient à chaque repas une soupe grossière, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à celle qui dégoulinait sur le pont, grise et crasseuse, les jours de nettoyage, ou à celle qu'on reversait à la mer par bassines, après les rares lessives.

Mais ces mauvaises conditions n'empêchaient pas les pirates de vénérer leur chef, au contraire. Tous lui obéissaient au doigt et à l'oeil, prévenant même parfois ses désirs. C'étaient de grands gaillards épais comme des brutes. Ils avaient l'intelligence de la survie, celle des chiens battus, mais ricanaient grassement si l'un d'entre eux s'attirait les foudres de Néo. Aucune commisération, chacun pour soi, et aux plus tendres de s'aguerrir. Telle semblait être leur unique philosophie.